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Quoi de plus représentatif des vacances que les cartes postales ? Ces quelques mots que l’on envoie de son voyage vers ceux que l’on a laissé derrière, que l’on a laissé à la réalité brute de la routine et du quotidien. Ces quelques lignes qui, de cet échappatoire, de cette fuite temporaire de ce présent qui nous semble quelque peu trop présent, cherchent à ne garder que ces liens qui nous semblent somme toute les plus vitaux, les plus essentiels.
L’on choisit en général la plus belle image, celle qui représente au mieux ce nouveau présent éphémère, ce présent qui si tôt embrassé se transforme en passé futur et qui se doit d’être le héraut de cette condition de liberté passagère trop tôt transformée en âge d’or perdu par la prison du quotidien retrouvé.
Ces cartes n’attendent pas de réponse. Elles ne sont que les versions modernes de la bouteille jetée à la mer. Elles sont un S.O.S. du condamné sachant que sa marche vers l’échafaud est prochaine, une tentative désespérée de laisser une trace, d’être vu, de dire au monde que l’on a existé, que l’on veut, que l’on a besoin d’être vu.
Je n’ai pas de belle image à te montrer. Peut-être est-ce simplement parce que ce présent si fuyant que je vis maintenant est parasité par ce futur que je trouverai immanquablement trop soudainement, trop violemment. Je n’ai pas d’image à te montrer car, si je suis en « vacances », elles ne sont pas de celles que l’on se targue d’avoir vécu.
Vacances, du latin vacare : être oisif, être vacant...être vide. Cette carte que je t’écris ne s’affuble d’aucune image, elle ne porte le timbre d’aucun pays exotique, le tampon d’aucun office postal, tu remarqueras d’ailleurs qu’aucune adresse n’y figure, ni même ton nom. C’est la bouteille à la mer que je t’envoie, c’est celle dont je sais qu’elle n’aura aucune réponse, c’est celle qui veut te dire : « je suis là, j’existe… ». C’est la carte que je t’écris silencieusement de cet exil passager que je vis quotidiennement, de ces brefs moments de déconnexion qui m’arrivent lorsque ce monde est trop lourd à porter, lorsque je préfère me taire plutôt que hurler, lorsque je tronque ma liberté pour ne pas heurter celle des autres. Cette liberté, je me la crée l’espace d’un instant. Je vogue « ailleurs », je suis « sur une autre planète », « dans la lune »…je rêve tout simplement. Plongé dans mes pensées, le monde n’est plus réel, il n’y a plus que ce que je vois défiler dans mon esprit qui a corps.
Je suis en vacances, je m’échappe, parfois sous tes yeux, de ce monde dans lequel tout doit être expliqué, où tout le monde doit avoir un avis sur tout, où tout le monde donne des leçons et où tout le monde sait tout et surtout dans lequel je me perds car je ne sais rien, dans ce monde là oui je m’échappe.
Assis à cette table, dans ce bar où je vous vois tous si heureux, où je vous entends rire et discuter joyeusement, je m’échappe. La cause ? Je n’en sais trop rien, sûrement une certitude énoncée sur laquelle je me suis arrêtée, que j’ai essayé de comprendre et de faire mienne en vain et sur laquelle j’ai commencé à débattre contre moi-même, « je » n’étant évidemment pas d’accord avec « moi », comme d’habitude.
Assis à cette table, si près de toi et pourtant si loin, je te lance une bouteille à la mer dont tu n'as pas connaissance, que tu ne recevras jamais et à laquelle tu ne répondras donc pas. Je suis vacant…je suis vide.